Le fonds Aristophil sous l’intitulé Boris Vian et les maudits (Brasillach, Gauguin, Sade, Verlaine, Toulouse-Lautrec, etc) vient de disperser chez Drouot à Paris une dizaine de lots apollinariens, dont un agenda copieusement annoté par Guillaume Apollinaire, petit carnet couvrant les premiers mois de 1905.
Agenda autographe & carnet de visites. Janvier-Février-Mars-Avril Villefranche, 1905.
Parmi les fers de lance de ce catalogue Boris Vian et les maudits recelant de très grands indésirables, figurent cet important corpus Vian, mais encore un poème autographe d’Arthur Rimbaud (Bonne pensée du matin, 1872) ayant appartenu à Paul Verlaine ou l’exceptionnel Rigodon (1960-61), manuscrit autographe en six volumes, le seul qui existe et à partir duquel l’édition finale sera faite après la mort du romancier Louis-Ferdinand Céline…
Quittant les estimations qui avoisinent les 100.000 euros, Guillaume Apollinaire se profile plus humblement en ouverture de cette vente placée sous le marteau du commissaire-priseur Claude Aguttes et l’expertise de Claude Oterelo.
Une édition originale d’Alcools numérotée sur papier d’édition comportant un envoi autographe de l’auteur à Frédéric Boutet ainsi qu’un dessin original à la mine de plomb de Louis Marcoussis, – exemplaire exceptionnel relié par Paul Bonet en plein maroquin brun et grandes compositions cubistes inspirées par le portrait d’Apollinaire par Picasso en frontispice -, fait face à un bel ensemble de huit lettres à Lou (1914-1915) avec une photographie de celle-ci (est .25.000-30.000 euros), on repère cet autre témoignage très touchant : un « carnet de visites », petite pépite de vécu qui dresse fièrement ses moments prétendus éphémères, document anecdotiques aux yeux de certains collectionneurs en comparaison avec cette correspondance amoureuse où le poète décrit sa vie militaire et dévoile ouvertement ses fantasmes érotiques, les cartes autographes, les lettres envoyées du front, un billet-poème autographe adressé à André Billy, ou le manuscrit autographe de La Vie anecdotique parue le 16 août 1918. Rubrique de la Revue de la quinzaine du Mercure de France, La Vie anecdotique fut créée pour et animée par Apollinaire à partir d’avril 1911. Apollinaire la tint jusqu’à sa mort, se basant sur la formule de l’anecdote sur mille sujets saisis au hasard de rencontres imprévues, bavardages, promenades, non sans omettre une immense charge poétique.
Les choses de la vie
En ce début d’année 1905, éconduit par Annie Playden, l’amante de La Chanson du Mal-Aimé, il fréquente Montmartre, le Bateau-Lavoir, Montparnasse, la Closerie des Lilas. Max Jacob, Salmon, Picasso, Jarry écument les cabarets en sa compagnie. Apollinaire est en quête de revues où il pourrait être publié, tenir chronique, telle La Plume qui accueillera son grand article sur Picasso et les saltimbanques.
Le carnet quelque peu disloqué révèle quant à lui le cortège des réalités quotidiennes. Sous la couverture imprimée usagée, une centaine de pages in-12 reprend donc au jour le jour les notes les plus disparates du poète entre janvier et avril 1905. Certes, ce petit document n’est pas un inconnu des enchères puisqu’il est déjà apparu chez Christie’s en avril 2006. Estimé 5.000 euros, il s’était envolé pour 7.690 euros. Le revoici en ouverture de la vente Drouot sous une estimation moindre, soit 3.500-4.000 euros.
Le poète a utilisé ce petit carnet Jacquemaire (le roi de la Blédine!) dans sa fonction première d’agenda: on y trouve des rendez-vous, par exemple avec Henri Delormel, peut-être pour la préparation de leur revue, La Revue immoraliste. Il y griffonne l’adresse de Picasso qu’il vient tout juste de rencontrer et celle de Max Jacob à la date du 1er mars, celle de Rémy de Gourmont ou de Thadée Natanson pour n’en citer que quelques unes. La Revue immoraliste où il signalera pour la première fois Picasso qui expose à la Galerie Serrurier disparaît aussi vite pour renaître sous le titre Les Lettres modernes.
Cet agenda fait également office de livre de comptes pour ses dépenses quotidiennes, une mine d’informations. La majorité des entrées manuscrites à l’encre ou à la mine de de plomb concernent des notes de travail de tous ordres, et le carnet est alors utilisé aussi bien à l’endroit qu’à l’envers dans un désordre qui, à l’examen, n’est qu’apparent.
Se succèdent des notes de lecture et des notices bibliographiques. Apollinaire s’intéresse ainsi à des alphabets imaginaires (alphabets d’Adam, d’Enoch et de Noé), à un traité sur l’invention d’une langue universelle, à la Bourse de New York et aux emprunts russes. Enfin voici peut-être l’intérêt premier de ce carnet: à partir de la fin, tête-bêche, 65 pages sont consacrées à l’établissement d’une « bibliographie sautadique contemporaine ». Apollinaire énumère des dizaines d’ouvrages érotiques français, anglais et allemands, qui témoignent de sa connaissance encyclopédique dans ce domaine. Cet ensemble de notes constitue très vraisemblablement un des premiers jalons pour L’Enfer de la Bibliothèque nationale.
Consciente de l’intérêt particulier que présente ce type de document, véritable réseau de notations et d’inspiration dans lequel ne cessera de puiser Apollinaire pour son écriture poétique et romanesque, notons que la Bibliothèque nationale de France possède une dizaine d’autres carnets, cahiers et agendas, tous en provenance de Jacqueline Kolb, épouse du poète qui a pratiqué toute sa vie l’usage de carnets, – à commencer bien sûr par le Cahier de Stavelot qui précède et dépasse les trois mois passés dans la petite cité de l’Amblève, en 1899.
Dominique Legrand
Drouot Paris. Vente du mardi 17 novembre 2020. Catalogue www.collections-aristophil.com
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