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  • Photo du rédacteurDOMINIQUE LEGRAND

Apollinaire et Francis Poulenc à Glyndebourne

Dernière mise à jour : 14 sept. 2022

Pour faire rimer vacances et culture sur les traces de Guillaume Apollinaire, direction Glyndebourne dans le Sussex. La célèbre maison d’opéra britannique accueille chaque été un festival unique au monde. Le dress code est digne de Downton Abbey et cet été le programme fait la part belle aux Mamelles de Tirésias : Guillaume Apollinaire et Francis Poulenc sur un plateau d’argent !


Joli doublé ! Composé de La Voix humaine où une femme ne vit que pour l’amour et une voix au bout du téléphone, suivi après l’entracte par Les Mamelles de Tirésias, ce Double Bill clôture en apothéose le festival de Glyndebourne. L’opéra-bouffe de Guillaume Apollinaire repris par Francis Poulenc en 1947 est cette fois follement mis en scène par Laurent Pelly qui outrepasse le « drame surréaliste » pour atteindre la comédie orgasmique complètement dingue. Sur scène, des seins énormes volent comme des baudruches roses, des milliers de bébés arrivent en rangs serrés expulsés d’une machine qui ne connaît pas les douleurs de l’enfantement et la métamorphose transgenre Thérèse/Tirésias hisse le pavillon du féminisme avec verve dans une opulence visuelle qui ne dépare nullement le texte originel.

Revenons aux sources : « En 1916, le poète Pierre-Albert Birot demande à Apollinaire d’écrire pour sa revue SIC un drame excluant « l’odieux réalisme ». Les Mamelles de Tirésias sont représentées le 24 juin 1917, avec des décors de Serge Férat et la musique de Germaine de Surville, résume Gérald Purnelle, spécialiste d’Apollinaire et président de l’AIAGA. Ce « drame surréaliste » repousse l’imitation de la réalité et la création de symboles et mêle l’avant-garde et le théâtre populaire — la farce, la revue, le théâtre musical. Avec fantaisie, il « met en relief» le problème de la repopulation de la France. Il vise à la « synthèse des arts, de la musique, de la peinture et de la littérature » qu’Apollinaire prédisait dans sa conférence L’Esprit nouveau et les poètes en 1916. La pièce, qui provoque un certain scandale et des réactions contrastées, est publiée en janvier 1918. »



Poulenc, le musicien d’Apollinaire

« Si l’on mettait sur ma tombe Ci-gît Francis Poulenc, le musicien d’Apollinaire et Éluard, il me semble que ce serait mon plus beau titre de gloire », écrivait le fils d’industriel dont l’entreprise de produits chimiques deviendra Rhône-Poulenc. Dès 1918, les compositions du jeune musicien commencent à le faire connaître. Poulenc fréquente les artistes d’avant-garde, rencontre Cocteau et Diaghilev. Il se joint aussi aux réunions de jeunes compositeurs autour de Darius Milhaud: le Groupe des Six. Poulenc a composé près de deux cents mélodies, la plupart pour voix et piano, d'autres pour orchestre de chambre ou grand orchestre, sur des textes de Jean Cocteau, Paul Eluard, Max Jacob, Guillaume Apollinaire... Des mélodies de Poulenc, cet équilibriste de la prosodie aussi inspiré par l’éléphant Babar que par les composition d’Apollinaire (Banalités, Mélodies sur les poèmes de Guillaume Apollinaire, Calligrammes, Le Bestiaire …) Cocteau dira : « La particularité de Poulenc, c'est de mettre le texte en évidence, se demandant si le texte ainsi chanté n’est pas la seule forme possible de déclamation d’un poème ».

Francis Poulenc (1899-1963) fut d’abord cet artiste agréablement « français », léger dans la clarté et son sens de la mesure, sa sensualité, son humour. Les influences perceptibles dans son style sont celles de Satie, Auric, Chabrier. Il développe un sens inné de la mélodie comme totalité, comme courbe, dans ses proportions et son phrasé. Le tournant décisif est amené par une œuvre modeste, sa première œuvre religieuse, les Litanies de la Vierge Noire (1936) suivie par le grandiose Dialogue des Carmélites (1957) qui sera d'ailleurs présenté l’an prochain à Glyndebourne. Tout d'un coup, Poulenc trouve sa dimension de grand musicien catholique. Il professe alors une espèce de « foi du charbonnier » qu'il se plaît à opposer à son côté « voyou » et libertin.

A la sortie de la guerre, Poulenc choisit le « drame surréaliste » d’Apollinaire, Les Mamelles de Tirésias, pour composer un opéra-bouffe. Les deux artistes eurent à peine le temps de se connaître mais de véritables affinités électives se nouèrent. L’ambiance lors de la création de la pochade à l’Opéra-Comique en 1947 avec Denise Duval est assez houleuse. Toute sa carrière désormais, surtout après la Seconde Guerre mondiale, Poulenc va se structurer et se concentrer autour de la musique vocale et dramatique. Il composera La Voix humaine, première partie de ce Double Bill sur un texte de Cocteau dont la création eut lieu à Paris début 1959.


Le pays d’émerveillement

Sous des salves d’applaudissements en 2022, Les Mamelles de Tirésias c’est le triomphe final de la saison de Glyndebourne. Le pays d’émerveillement de Poulenc/Apollinaire dépasse l’absurdie dans ce lieu incroyable qu’est Glyndebourne où le charme so british joue le premier rôle avec des spectateurs en robe longue et smoking sirotant du champagne entourés de moutons. Les entractes sont longs de 90 minutes pour que l’on puisse organiser son pique-nique avec panier en osier et ombrelles… Tenues chics et vintage exigées !





L'aventure de Glyndebourne a commencé par une love story, quand John Christie rencontre dans les années 30 la soprano Audrey Mildmay. Ensemble, ils vont fonder en 1934 le Festival de Glyndebourne dans une vaste et charmante country house près de Lewes dans l’East Sussex. Auraient-ils imaginé que presque un siècle plus tard, Glyndebourne, - leur demeure, le jardin qui l’entoure et une nouvelle salle de spectacles - allaient devenir l’emblème des festivals d’opéra ?



Glyndebourne s’offre en cette fin de mois d’août deux maîtres de la scène contemporaine pour honorer Francis Poulenc: Jean-Jacques Delmotte et Laurent Pelly. Après des études d’architecture à Paris et huit années dans la mode, Jean-Jacques Delmotte s’est tourné vers le costume de théâtre et la danse contemporaine. En 2000, sa rencontre avec le metteur en scène, scénographe et costumier Laurent Pelly connu pour son travail sur le répertoire français et en particulier les œuvres d’Offenbach signe le début d’une longue collaboration entre les deux créateurs dans les plus grandes maisons d’opéra. En janvier 2023, le metteur en scène Laurent Pelly reviendra d’ailleurs à la Monnaie (Bruxelles) pour une nouvelle production de l’opéra Yevgeny Onegin.


Dominique Legrand


Double Bill, diptyque de Francis Poulenc : La Voix humaine (Jean Cocteau) et Les Mamelles de Tirésias (Guillaume Apollinaire). En scène jusqu’au 28 août 2022. www.glyndebourne.com



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