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Photo du rédacteurDOMINIQUE LEGRAND

Apollinaire et Serge Férat à La Baule

Dernière mise à jour : 14 sept. 2022

Pour faire rimer vacances et culture sur les traces de Guillaume Apollinaire, direction La Baule où le poète séjourna en 1913. Ce mercredi 17 août 2022, une balade commentée parcourt le quartier du Bois d’Amour au gré des maisons d’écrivains, s’arrêtant particulièrement devant les volets verts d’une villa balnéaire : la Villa Printania.


« Cher Guillaume, nous vous attendons – venez au plus vite. Il fait un temps magnifique : grand soleil, grand vent, l’océan à votre disposition dès le matin – villa au milieu de la forêt pour y dormir (...) » Comment résister à une invitation si prometteuse signée Hélène, ce 6 août 1913 ? « Télégraphiez-moi le jour de votre arrivée voici l’adresse : Jastrebzoff Villa Printania La Baule (Loire inférieure) A bientôt j’espère, - bien cordialement Serge ».

Débarquant le 20 août sur le quai de la gare de La Baule, sous le poids de la rupture avec Marie Laurencin, Apollinaire ne s’installe pas au Royal. Villa Printania, ses hôtes sont des amis, le peintre cubiste Serge Férat, né comte Sergueï Nikolaïevitch Jastrebzov (Moscou 1881-Paris 1958), et la cousine de ce dernier, la séduisante baronne d’Oettingen, peintre et écrivain. En pleine mêlée cubo-futuriste parisienne, quelques mois après la publication de son livre Les Peintres cubistes, la Villa Printania, quartier de La Baule-les-Pins nouvellement loti non loin de la plage, devrait être un havre de paix.

Sous toiture en ardoise, la Villa Printania en plan symétrique carré de style chalet Art nouveau a été dessinée en 1903 par l'architecte nantais A. E. Régnier. Implantée dans un jardin, la villa arbore derrière ses volets verts une verticalité radicale chapeautée de belvédères avec toiture en pavillon et garde-corps en bois sculpté. Longtemps isolée car très à l'est du lotissement Hennecart, centre de la station atlantique d’alors, la villa à colombages a été construite le long de la ligne de chemin de fer qui sera dévoyée en 1927. Adossée à la grande dune d'Escoublac, la concession lotie par des investisseurs est donc coupée de la mer dès 1879 par cette ligne de chemin de fer, en une partie dénommée par les villégiateurs Le Bois d'Amour car il y fait bon se promener sous le couvert des pins plantés en nombre pour stabiliser le sable.

Le Russe blanc du cubisme

Serge Férat, peintre, graveur et décorateur russe installé à Paris dès 1900, découvrit Cézanne, Picasso, Braque et s’orienta vers le cubisme sous une palette brillante qui ne refuse pas le découpage. Férat adhère au cubo-futurisme, mouvement spécifiquement russe (Malevitch, Larionov, Goncharova, Tatline) devenu un terme utilisé par la critique parisienne pour désigner le travail des artistes de la Section d’Or (Kupka, Picabia, Léger, Marcoussis, Herbin, Metzinger) ou encore la création de Parade, le ballet de Picasso, Satie et Cocteau. Au Salon d’Automne puis aux Indépendants (1911) où les cubistes s’étaient réunis pour la première fois dans une même salle, le ton du critique Apollinaire, ému par l’esprit héroïque du mouvement cubiste, se fit militant, particulièrement dans L’Intransigeant où il tint la rubrique artistique de 1910 à 1914.

Dans le salon de l'aristocrate russe fréquenté par la baronne d’Oettingen et Guillaume Apollinaire, le futurisme rencontre le cubisme, le surréalisme fait ses premiers pas ; la bohème parisienne trouve un lieu unique d'échanges, de création… et de mécénat. Après le fauvisme, et maintenant grâce au cubisme, le monde visible n’est plus intangible ; pétri sous le pouce du peintre fauve, le voici disloqué, concassé en débris épars que l’artiste recompose selon des lois qui ne sont plus celles de la vraisemblance ou de la logique. Le cubisme remplace la véracité des apparences par des rapports d’harmonies presque mathématiques.

Homme de grande culture et collectionneur passionné, fort d’une amitié indéfectible envers le poète, Serge Férat réalisa aussi le décor et les costumes des Mamelles de Tirésias, «drame surréaliste » créé en juin 1917 au Conservatoire Renée Maubel à Paris, dessins que l’on retrouve aux éditions SIC en 1918. « La veille de la représentation, rien n’était prêt, ni la mise en scène, ni le décor, révèle Pierre Albert-Birot. Le matin du grand jour, Serge Férat fit des miracles à volonté : avec mille épingles, deux cents bouts de papier de couleur et le plein feu de rampes, il avait transformé notre triste plateau en un monde magiquement surréel (...)» (Rimes et Raisons, 1946) C’est encore le fidèle Férat qui signa le dessin de la pierre tombale d’Apollinaire au cimetière du Père Lachaise.

En fait, sans jamais atteindre la reconnaissance des grands peintres cubistes, le travail de Serge Férat qui opta pour la nationalité française en 1918 demeure centré sur le mouvement et le dynamisme plastique (plan, ligne et texture). Ses huiles sur toile d'avant 1914 avouent ce qu'elles doivent à Picasso et à Braque en reprenant les thèmes de la guitare, les arlequins, acrobates, les motifs équestres et natures mortes, à leur technique de la décomposition, à leurs collages, à leur usage du papier journal. Le Russe blanc du cubisme vécut néanmoins de son oeuvre de 1917 (la Révolution russe l'ayant dépossédé de ses biens) jusqu'à sa mort à Paris en 1958.

Serge Férat, Composition au journal et aux fruits, 1918.


« C’est la première fois que je vois l’Océan »

Revenons Villa Printania, fin août 1913. Après les heures passées à Villequier à suivre le mascaret de la Seine en compagnie houleuse de Marie Laurencin, tous deux invités par Louise Faure-Favier et son ami André Billy dans l’espoir d’une réconciliation qui ne se fera point, Apollinaire dit s’être ennuyé en baie du Pouliguen : « Le pays est ici très laid, pins et sable, extrêmement pénible pr la marche. Il paraît qu'il y a un monde fou, mais comme la plage a 12 kilomètres de long on dirait qu'il n'y a personne. Nous sommes tout au bout du pays et ce pays est pour ainsi dire sans rues, écrit-il encore à Marie. Je m'embête un peu à cause de la rareté du monde. [...] La chaleur est très forte et le soir il fait encore plus chaud à cause des pins qui dégagent beaucoup de chaleur. Le chemin de fer est tout près et le premier train me réveille chaque matin. Je prends un bain de mer à 7 heures du matin. Beaucoup d’énormes méduses. C’est la première fois que je vois l’Océan (…) En somme, le paysage de Villequier était plus fin, plus délicat plus raffiné même, mais ici profondeur lumineuse comme je n’en ai pas encore vu depuis la Méditerranée.»

Bien entendu il y écrit. Quelques vers baulois furent publiés par le journal L’Intransigeant en septembre 1913 bien qu’adressés dans un premier temps à Louise Faure-Favier. Extrait :


Je suis au bord de l’océan sur une plage, Fin d’été : je vois fuir les oiseaux de passage. Les flots en s’en allant ont laissé des lingots : Les méduses d’argent. Il passe des cargos Sur l’horizon lointain et je cherche ces rimes Tandis que le vent meurt dans les pins maritimes.


Ces jours où il clame « L’échouage vivant de mes amours choyés » ne seront pas vains : «Serge Férat et Hélène d’Oetttingen ont de l’argent et Guillaume Apollinaire en a besoin pour Les Soirées de Paris dont les finances ne sont pas bonnes, écrit le journaliste apollinarien Philippe Bonnet. Les négociations ne furent probablement pas bien longues et Les Soirées seront bien relancées à l’automne 1913 grâce à ses deux amis. »

Le premier numéro des nouvelles Soirées de Paris - « le nom si joli » commente Apollinaire - paraît le 15 novembre 1913 superbement illustré par Picasso, Braque, Matisse, Picabia, Vlaeminck, Léger et même Marie Laurencin collaborant à la revue sous la direction de Guillaume Apollinaire, Serge Férat et la baronne d’Oettingen. Côté poésie, on y retrouve évidemment Max Jacob, Cendrars, et naturellement Apollinaire. Cahotante dans sa première série (40 abonnés!), la revue prend un virage radical. « Les Soirées de Paris changent de ton, jouant pleinement un rôle d'exploration et de révélation des nouveaux talents, confirme Isabel Violante dans sa préface aux "Soirées de Paris" aux éditions De Conti, (...) Apollinaire et ses amis entendaient produire un "organe de rareté": l'objectif était atteint. (...) La revue devint d'ailleurs un objet de collection. »

Derrière ses volets verts et murs en pierre taillée, 27 avenue de Chateaubriand, la belle Printania a décidément bien des secrets à dévoiler...


Dominique Legrand



Balade commentée quartier La Baule-Les-Pins, mercredi17 août. Rdv 9h30 devant l’entrée du Parc des Dryades. Animation : Annik Le Goff. Inscription sur place avant le départ. Des chaussures confortables sont recommandées. Balade d'environ 4km, se termine vers 12h. Informations Maison d’Escloubac +33(0)2 51 75 11 75. https://www.labaule-guerande.com

Jacques Doucet, Apollinaire à La Baule suivi de Apollinaire, permissionnaire en Bretagne, Bénodet et Kervoyal, préface de Michel Décaudin, éd. Alizés, 2001.

Guillaume Apollinaire, Correspondance avec les artistes 1903-1918, Gallimard, 2009.





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